Tiffany : « Et veux-tu bien me dire qui force les Québécois à abandonner le français ? Qui force les Québécois à ingurgiter une autre langue ? Pas le Canada qui, lui, a fait du français une langue nationale — on est très loin de tes affirmations. »
Ce qui fragilise le fait français au Québec — comme ailleurs au "Canada" — c'est l'impossibilité de faire reconnaître les droits d'une nation souveraine et indépendante et la liberté pour le peuple québécois de légiférer à sa guise (en matière linguistique ou autre) sans avoir à en référer à une autorité fondamentalement étrangère qui a dépossédé le vrai Canada jusqu'à son nom et l'instrumentalise pour y inclure des régions qui n'ont absolument rien à voir avec le vrai Canada : Colombie-britannique, Yukon, Alberta, Nouvelle-Écosse (Acadie), etc. Le vrai Canada c'est le Québec (Labrador compris, bien sûr), l'Ontario et, fut un temps, les Grands-Lacs.
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Le Québec (le Bas-Canada) ne veut pas subir ce qui est arrivé à l'Ontario (le Haut-Canada) depuis le début du XIXe siècle. La perte d'indépendance du Canada français (Ontario + Québec) a conduit à l'invasion du Haut-Canada par les "British Americans". Même si les Canadiens (les vrais : les Canadiens français) ont longtemps résisté à l'invasion des "British Americans" et autres Anglais (en 1840 : 600.000 francophones contre 500.000 anglophones), l'absence de souveraineté les a peu à peu contraints à accepter ce dont ils ne voulaient pas.
Pour répondre à ta question Tiffany, il y a eu de nombreux précédents dans la courte histoire du Canada et de l'Acadie, à commencer par le génocide des Acadiens. Pour le reste, je te conseille la lecture du « Le livre noir du Canada anglais » de Normand Lester.
Un texte à méditer de Norman Spector, ancien sous-ministre auprès du premier ministre de la Colombie-Britannique, Bill Bennett (1982-86), secrétaire du cabinet fédéral aux relations fédérales-provinciales et directeur de cabinet du premier ministre Brian Mulroney :
« Vous m'avez demandé de vous faire part de mes réflexions sur la façon dont vos politiques linguistiques sont perçues dans le reste du Canada et sur la façon dont cette perception affecte l'image du Québec.
Règle générale, les politiques linguistiques du Québec sont tournées en ridicule dans le reste du Canada. En effet, nos quotidiens se font un plaisir de rapporter des faits cocasses par exemple une directive pour changer le nom de Benny Crescent en «croissant Benny» des fonctionnaires occupés à mesurer la taille des lettres sur les affiches ou vos tentatives pour remplacer par des néologismes québécois des termes comme «Web» ou «email» qui ont déjà cours même en France.
Certains considèrent vos efforts comme une cause perdue. Mais il y a également de la colère chez ceux qui y voient une politique du «deux poids, deux mesures linguistiques» au Canada, qui disent «Nous étions d'accord lorsque le Québec a demandé de rendre le pays bilingue. Mais aujourd'hui, alors que nous traitons nos minorités francophones avec justice, vous opprimez votre minorité anglophone.»
Pour expliquer comment ces perceptions ont pris naissance au Canada, il faut les voir comme autant d'effets pervers de la politique des langues officielles de Pierre Elliott Trudeau. Cette politique a en effet légué aux Canadiens un de leurs plus grands mythes: la fausse illusion selon laquelle le Canada serait devenu un pays vraiment bilingue.
Les psychologues affirment volontiers que les problèmes les plus dommageables pour une personne sont ceux qu'elle ne veut pas reconnaître. Ce truisme s'applique également aux sociétés. Les Canadiens s'aveuglent lorsqu'ils vantent leurs programmes d'immersion, dont les diplômés parlent et écrivent un pénible charabia, de la santé des communautés francophones, pourtant victimes d'un taux d'assimilation galopant, ou du bilinguisme d'une bureaucratie fédérale qui, à Ottawa, fonctionne principalement en anglais à ses plus hauts niveaux.
A Victoria, où j'habite, le gouvernement fédéral est très fier d'offrir des services dans la langue de Moliére. Mais sur les affiches électorales de notre ministre régional, il n'y avait pas un mot de français même pas un accent aigu sur le mot «libéral». De plus, peu de gens comprennent ici que le bilinguisme était une demande d'Ottawa, non pas une exigence de René Lévesque, et ils ne sont pas conscients que, pour un francophone, en dehors du Québec, la plupart des régions du Canada sont en pratique unilingues.
L'initiative constitutionnelle de M. Trudeau fut à mon avis son acte le plus nocif. Loin de tuer le mouvement indépendantiste tel que promis, le rapatriement de la Constitution en 1982 a aggravé notre problème d'unité parce qu'il s'est fait sans le consentement du Québec. Qui plus est, en enchâssant ses politiques linguistiques dans la Charte canadienne des droits et libertés, M. Trudeau a fait de la langue non plus une question politique, comme elle l'avait toujours été dans notre histoire, mais une question juridique, fondée sur les seuls droits de la personne.
Les anglophones du Québec ont été les défenseurs les plus enthousiastes du rapatriement de la Constitution et les critiques les plus acharnés de l'Accord du lac Meech. Aujourd'hui, dans un effort pour préserver ce qui subsiste de leur position jadis dominante ils se dépeignent dans le reste du Canada comme une minorité opprimée. Et leur message est amplifié par ceux qui ont fui la loi 101 et qui véhiculent leurs histoires de discrimination de Toronto à Calgary.
Une journaliste du Ottawa Citizen a récemment décrit la loi 101 comme «la répression culturelle systématique d'un groupe, déguisée en noble défense culturelle de l'autre». Elle parlait aussi de la «culture nerveuse du Québec», de son «étroitesse d'esprit» et de sa «xénophobie naissante».
Certains anglophones de Montréal ont même fait des parallèles avec les troupes d'assaut nazies. En qualifiant de «tongue-troopers» les employés de l'Office de la langue française, ils ont banalisé la Shoah davantage qu'Yves Michaud ne l'a fait. De plus, en notant le fait que les anglophones ne représentent que 0,76 % des employés du secteur public, les responsables d'Alliance Québec parlent de préjugés et d'un sentiment commun «chez beaucoup de jeunes au Québec [...], celui de n'être pas voulus ici».
Il y a 30 ans, j'ai quitté le Québec non pas pour fuir la discrimination ou l'antisérnitisme mais bien parce que j'ai compris que ma piètre maîtrise de la langue française, en particulier la langue écrite, ne me permettrait jamais d'aspirer aux niveaux les plus élevés de la fonction publique québécoise.
Aujourd'hui, à titre d'ancien ambassadeur du Canada en Israël, quand je regarde la situation au Québec, j'y vois un problème de relations intercommunautaires et non un problème de droits de la personne.
Quand mon grand-père est arrivé à Montréal, il n'a eu d'autre choix que d'envoyer ses enfants à l'école anglaise. Les choses se seraient passées différemment si la loi 101 avait été en vigueur et si vos grands-parents avaient été plus accueillants. Je ne sais pas si mes grands-parents seraient restés au Québec, mais chose certaine, j'écrirais aujourd'hui en français, comme le fait un Alain Finkielkraut.
Aujourd'hui, votre société si vivante est ouverte aux immigrants. Et pourtant, seulement 40 % d'allophones choisissent d'étudier dans un cégep français alors qu'en 1994 ils étaient 45 % à le faire. Pour contrer cette tendance, vous songez à exiger de tous les immigrants qu'ils étudient en français au niveau collégial. Certains parlent aussi d'une nouvelle règle qui exigerait la connaissance du français pour obtenir un certificat québécois. Il n'y a rien de raciste dans l'une ou l'autre de ces propositions.
En fait, il n'y aurait rien de raciste si vous décidiez de ne financer qu'un systéme collégial de langue française. Ceci vous épargnerait des querelles inutiles sur le cas par cas et ne violerait certainement pas la Constitution canadienne. Ce geste vous donnerait peut-être la confiance nécessaire à un apprentissage plus précoce de l'anglais. Les enfants apprennent mieux une langue à l'âge de cinq ou six ans. A 18 ans, il est un peu tard, et vos diplômés du secteur public paieront cher, plus tard, le fait de n'être pas aussi bilingues que vos élites inscrites à des écoles privées.
Si je peux me permettre un conseil, ce serait celui-ci: oubliez la discrimination que vous avez subie de la part des anglophones dans le passé. Ouvrez chaleureusement vos bras aux immigrés et soyez disposés à dépenser beaucoup d'argent pour leur enseigner le français et les intégrer à votre culture. Regardez le système d'immersion en Israël. Parlez à Diane Proulx. J'ai vu comment elle savait intégrer les immigrés aux COFI. Elle pourrait même vous dire comment intéresser les jeunes anglophones de souche à s'intégrer à la communauté française.
Au bout du compte, les parents anglophones devraient se demander s'il est vrairnent sage d'envoyer leurs enfants à des écoles où ils n'acquerront jamais une qualité de français suffisante pour leur permettre de vivre pleinement leur vie au Québec. Et si leurs enfants désertent le Québec, ce sont eux qui se retrouveront abandonnés dans leur vieil âge. La vérité est que la seule manière pour un anglophone de devenir vraiment bilingue est d'étudier en français.
Il est possible que les parents qui envoient leurs enfants aux écoles anglaises refusent de voir cette vérité. Ou peut-être espèrent-ils un Québec binational quand ils prônent le bilinguisme. Cet espoir me semble vain. Car autant le bilinguisme au niveau individuel est une réalité de la vie à Montréal, autant la conversion du Québec au binationalisme serait une recette pour l'assimilation des francophones.
Les malentendus entre les deux solitudes du Canada sont très profonds. Vous vous voyez comme un îlot francophone dans un océan nord-américain anglophone. Et vous êtes préoccupés d'intégrer vos immigrants à la majorité francophone du Québec alors que, dans le reste du pays, les gens croient que tout autre modèle que le laisser-faire multiculturaliste canadien tient du racisme. »
De toute façon, Tiffany, les Québécois n'ont pas à justifier la(les) raison(s) pour la(les)quelle(s) ils souhaitent l'indépendance. S'ils la veulent, ils la prennent. Et à mon avis, c'est pour bientôt !